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jeudi 30 juin 2016

Sentiers Sauvages


Tu construis des petits douleurs que tu assembles dans le noir. Tu voudrais mesurer la distance entre le bout du ciel et la plante de tes pieds. Tu tourne en rond dans un sentier de terre, jette des ombres sacrées dans la lumière du feu. Tu fais remuer des cailloux dans le creux de ta main, tu les écoutes chanter. Ca sent la myrrhe et la combustion du bois de sapin. Il y a des rituels qu'on a oublié, des chansons qu'on aurait du nous chanter plus souvent.

Tu engouffres tes pas dans les rues de cette ville, les caves de cette ville, les hangars de cette ville. Jamais tu n'as trouvé ailleurs ce que tu trouves ici, c'est une ville comme un tas de compost : Qui pue la mort mais qui grouille, qui brûle, qui brille. C'est une ville qui n'a pas de garde-fou et tu prends une claque à chaque porte que tu pousse. T'es déjà tombé sur des cours intérieures couvertes de fleurs, des jardins bucoliques entretenus avec soin au beau milieu du bronx. Ca n'est pas une ville ou règne l'ordre et la sécurité, ça n'est pas une ville qui se prend au sérieux, c'est l'humilité humiliée. 

T'as poussé une vieille porte en métal rouillé et t'as monté des escaliers en béton, t'es encore arrivé dans un atelier sauvage. Y'en a combien comme ça , avec rien d'écrit sur la porte ? Certainement des centaines. Sur les étagères c'est la collection d'encres et de peintures, le nitrate d'argent et les lampes UV sous la table lumineuse faite-maison, une vieille baignoire et des pinceaux étrangement propres, un cadre de sérigraphie qui sèche à l'ombre dans un carton d'écran plasma, parce qu'il se trouve que c'est juste la bonne taille. T'as juste poussé la porte en fait, et tu sais qu'ils sont pas les seuls.

Tu reconnais les marins échoués des écoles d'Art, les expulsés du circuit parce que trop sauvages, trop insolents, avec trop de feu qui leur brûle les doigts. Tu les reconnais parce que t'en as vu d'autres, t'as souvent pris le crayon ou la poudre d'escampette avec eux, t'as toujours trouvé qu'ils étaient au coeur des choses, qu'ils comprenaient plus vite et plus loin. Tu souris de constater que finalement, les diplômés travaillent souvent au bar du coin, alors que les sauvages, eux, n'ont jamais arrêté de produire. Ca leur brûles les doigts de toutes façons, on voit bien l'incendie dans leurs yeux. C'est une ville comme un tas de compost : Qui pue la mort, mais qui grouille et qui brille d'insectes gigotants, créatifs, immortels.

Tu rentres avec tes quinze pages imprimées sous le bras, t'es contente du rouge et t'es contente du bleu. Tu prends la première à gauche après l'hôtel de luxe, et tu passes devant des dizaines de portes. Derrière elles il y a surement une fille qui fait du trapèze dans un hangar froid, sans doute un type qui découpe des cartons d'acide en mangeant son sandwich, il y a peut-être une troupe de théâtre qui répète dans un garage, potentiellement un mec qui construit un bateau sans rien dire à personne, et certainement une gonzesse silencieuse qui tire ses photos dans une chambre noire. Tu sens presque l'odeur du révélateur. Il fait beaucoup trop chaud et le ciel reste gris taulard sur la cité bâtarde. Tu pousse encore une porte, la tienne, doigts sur l'interrupteur, cigarettes dans le cendrier, poser ton sac, papier, crayon. Il y a des rituels qu'on a oublié.

Des chansons qu'on aurait du nous chanter plus souvent.

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